La chaîne du livre ?

Aujourd'hui, j'avais comme une envie de vous faire partager un petit bout du métier de libraire, en vous parlant de ce qu'on appelle, entre nous, la chaîne du livre.

Qu'un auteur écrive, emporté par une inspiration qui le dépasse, un chef d'oeuvre absolu, encore faut-il qu'il arrive jusque sur ma table de nouveautés pour que vous puissiez vous y plonger. Et la première étape, évidemment, est la douloureuse recherche d'éditeurs (contrairement aux idées reçues, les éditeurs refusent plus de textes parce qu'ils ne collent pas à leur ligne éditoriale que parce qu'ils sont des vautours à la recherche de la perfection).

Une fois cette étape franchie, reste le plus long, le moment où l'éditeur va triturer, dépecer, osculter le manuscrit pour en faire un livre. Et, si l'auteur rechigne en général à retoucher son texte, eh bien il le fait quand même dans la plupart des cas – Jérôme Lindon, directeur emblématique des Editions de Minuit, a d'ailleurs fait sienne la spécialité de changer les titres des romans qu'il publiait.

S'en suivent des séries de corrections, épreuves, maquettes, bon à tirer dont je vous épargne les détails. Mais, après tout ça, une fois le livre imprimé, relié, banderolé, il faut encore qu'il soit envoyé à ceux qui travaillent dur pour le faire connaître – nous, libraires avides de nouveautés.

C'est donc à ce moment-là qu'entrent en jeu les distributeurs, intermédiaires entre l'éditeur et la grande plateforme centrale française du livre, Prisme. Visualisez une pieuvre géante brassant des milliers de livres par jour, qui en stocke des millions et qui les trie, classe et range en fonction de chaque commande émanant d'une librairie aussi petite soit-elle, dont Toute Une Histoire.

Une fois que Prisme a digéré tout ça, un transporteur vient récupérer les cartons triés par librairie et les remet au libraire, qui se charge finalement de différencier, dans le carton, les commandes client de sa commande de stock.

En résumé, et à l'envers : le libraire commande chez son éditeur ce qu'il veut, puis regroupe ses commandes par distributeurs (un distributeur ayant souvent la charge de plusieurs éditeurs). Lorsque la commande arrive, le distributeur la prépare, l'envoie à Prisme, qui la renvoie au libraire.

Si, donc, je n'ai votre livre qu'au bout d'une semaine, ce n'est pas de ma faute, ne m'en veuillez pas à moi mais au monde entier.

(Et si Amazon y arrive, c'est qu'il est tellement grand qu'il ne passe pas par les distributeurs ni par Prisme, mais est devenu lui-même un entrepot géant qui s'occupe uniquement de ses propres commandes).

(Et si vous préférez acheter sur Amazon, je vous prépare un petit post pour vous convaincre de ne pas le faire).