Le prix unique du livre ?
- evelynewessang
- 31 janv. 2015
- 3 min de lecture

« En France, le prix du livre est unique ! » : vous l'avez peut-être remarqué fièrement affiché sur la vitrine de la librairie ou sur la banderole de ce site. Aujourd'hui, petite explication de la signification et des conséquences de cette petite phrase.
Le prix unique a été instauré en France en 1981 par la loi que l'on appellera alors « Loi Lang sur le prix du livre », qui décrète que l'éditeur fixe le prix de son livre, et que personne, vraiment PERSONNE n'a le droit d'y toucher. Le prix est donc imprimé sur le livre et aucun revendeur n'a le droit, légalement, de le faire varier. Ce qui implique, concrètement, qu'en plus de la petite gomette collée pour cacher le prix lorsque je vous fais un paquet cadeau, un ouvrage aura toujours le même prix, qu'il soit vendu par Amazon, par la Fnac, par un point Relais en gare ou par votre libraire indépendant préféré. Alors non, acheter chez Leclerc ne coûte pas moins cher !
Seuls 5% de remise sur le prix du livre sont autorisés ; les grandes surfaces les appelleront fièrement « Promotions » ou « Rabais exceptionnel », votre libraire en fera une carte de fidélité et Amazon les proposait systématiquement pour vous faire penser que vous faites une bonne affaire (ce qui était illégal, hein, lorsqu'on y ajoutait les frais de port gratuits).
Si le commerce du livre est protégé en France, c'est que le livre y est considéré comme un « bien de première nécessité » tout comme l'eau ou le pain, et que sa TVA est donc réduite à 5,5%. Certains crieront sûrement au scandale, au fait que le consommateur ne puisse avoir les avantages de la concurrence, mais l'enjeu dépasse, pour le livre, les intérêts strictement commerciaux. C'est en fait la préservation de ce que l'on a appelé (avec beaucoup d'imagination) la « bibliodiversité » qui est le cœur de la loi sur le prix unique.
Prenons le contre-exemple parfait : l'Amérique ! (Oui, même dans le livre on peut les citer). Aux États-Unis, le prix du livre est libre, chaque revendeur fixe le prix de vente qui lui paraît le plus juste en fonction du produit, de sa clientèle et de la marge qu'il souhaite ou a besoin de s'octroyer. Très rapidement, les grandes chaînes américaines (Barnes & Nobles pour ne pas les citer), ont cassé les prix, sont devenues discounter de livres et ont ainsi complètement étouffé les petites librairies indépendantes, obligées de faire grimper les prix pour survivre - parce que si Barnes & Nobles réussi à être rentable même avec des marges minimes, c'est qu'il est part d'un grand groupe pour lequel le livre ne représente que quelques pourcents de son chiffre d'affaires global. Bref, il peut se le permettre en vendant des armes à côtés (pardon, ça, c'est Lagardère). En quelques années, des milliers de librairies indépendantes ont mis la clef sous la porte, pour, finalement, laisser le marché du livre se répartir uniquement entre quelques grandes chaînes.
Et, après les libraires, les plus touchés par cette libéralisation du prix sont bien les éditeurs. J'entends ici les petits éditeurs, les chercheurs d'or, les contestataires, les politiquement incorrects. Parce que, fortes de leur hégémonie et de leur pouvoir sanguinolant, les chaînes de librairies américaines ont pris pour habitude de demander une « petite » contribution directement aux éditeurs pour qu'ils soient visibles. En gros, une place en vitrine ou une belle pile coûte à l'éditeur 1$ par exemplaire. Possible pour Penguin Books, impossible pour le micro-éditeur qui est contre la guerre en Irak... (notez l'utilisation des points de suspension).
L'Amérique est un exemple parmi d'autres, la même logique s'est appliquée à la Grande-Bretagne ou plus récemment à la Suisse, où 70% des librairies indépendantes n'ont pas survécu à la première année de libéralisation du prix du livre (parole de libraire bernois).
DONC : si vous avez envie de lire autre chose que ce qui se vend sans que votre libraire n'ait à vous le conseiller, si vous voulez continuer à rire devant des BD moralement douteuses, si vous aimez cerner un sujet par ses défenseurs et ses détracteurs et si, dans le contexte de ce début d'année 2015, vous souhaitez faire plus qu'acheter un exemplaire de Charlie, soutenez les petits éditeurs, soutenez l'indépendance et ne laissez pas les piles de 30 exemplaires vous laisser penser que c'est cela qu'il faut avoir lu.
Pour en savoir plus : les ouvrages d'André Schiffrin sont à disposition à la librairie, il vous expliquera tout cela plus habilement et consciencieusement que moi.
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