Pourquoi Amazon est un (vrai) grand méchant loup.
- evelynewessang
- 16 déc. 2014
- 4 min de lecture

Des « promotions », des frais de port à 1 centime, un choix sans fin et une livraison en 48h, Amazon a réellement tout du service parfait en ce qui concerne le livre, et pourtant, les conséquences des achats auprès du géant ne sont pas vraiment jolies à voir. Aujourd'hui, plutôt que de vous regarder méchamment dans la librairie lorsque vous m'annoncez que vous avez trouvé le livre que vous cherchiez sur Amazon, je préfère déballer ici mon discours de libraire-attentive-à-la-bonne-santé-du-livre.
Car oui, si notre discours de libraire est globalement toujours le même, ce n'est pas que notre secte nous l'impose, mais bien parce que les dérives d'Amazon nous touchent directement ainsi que toute la chaîne du livre, dont nous sommes finalement les représentants directs auprès du client.
Et si Amazon est si terrible, c'est parce qu'il est aujourd'hui en position de monopole sur le marché et se permet donc des méthodes qui vont de l'usage d'un vocabulaire « legèrement plus commercial » au parfait non-respect des éditeurs et des auteurs, en passant par quelques petits détournements de lois.
Pour être plus claire : le prix du livre est unique en France depuis 1981, seuls 5% de rabais sont autorisés par la loi. Oui mais voilà, ces 5%, Amazon (et les grandes surfaces aussi), les nomment fièrement « promotion ». Résultat : tout le monde pense qu'acheter sur Internet, ça fait faire de sacrées économies !
Depuis cette année, Amazon va de plus vous demander de payer des frais de port (non mais quelle insolence!). Eh bien, c'est tout simplement parce que cumuler les frais de port gratuits et le rabais de 5% a été considéré comme une enfreinte à la loi sur le prix unique (et ce sont des gens très intelligents qui ont fait beaucoup d'années d'études qui l'ont dit). Alors pauvre Amazon a été obligé de faire payer les frais de port à ses clients, qu'il s'est empressé de facturer à … 1 centime (eh oui, la loi n'oblige pas à demander l'intégralité des frais, ni même un pourcentage, simplement une « participation »). Devant tant d'injustice, Amazon s'est dit choqué et contraint de plomber le pouvoir d'achat de ses clients alors même qu'il est un maillon essentiel de la culture et de la démocratisation du savoir...
SAUF QUE : vous l'avez peut-être entendu, les pratiques du géant en terme de soutient à la culture et à ce qu'on appelle la « bibliodiversité » sont plutôt... bizarres. L'année dernière, Amazon a contraint la prestigieuse édition allemande Diogenes à lui octroyer 50% de rabais sur ses livres numériques, sans quoi les livres papiers de l'éditeur ne seraient tout simplement plus « disponibles » sur le site. Cette année, Amazon a réitéré son chantage avec Hachette Etats-Unis, qui, grand groupe de chez grand groupe, ne s'est pas laissé faire. Cette pratique peu orthodoxe a des conséquences directes : un livre que le client ne trouve pas sur Amazon est généralement considéré comme inexistant ou impossible à avoir, ce qui nuit gravement aux auteurs et éditeurs, qui se retrouvent ainsi en état de non existence totale, sans que personne n'aille vérifier si, quand même, Amazon ne se serait pas trompé. Plus encore, imaginons un monde où Amazon choisirait ce qu'il décidait de vendre ou non et qu'il déciderait, un jour, que l'opposition politique ne lui rapporte pas assez d'argent, ou que le féminisme, c'est barbant, ou encore que les livres pour enfants, ça doit être joli et surtout ne pas poser de questions...
Vous me voyez venir avec mes grands chevaux ? Le risque d'une privatisation du savoir n'est pas seulement une élucubration de libraire, mais est bien réelle lorsque l'on pense par exemple que seuls les formats Amazon peuvent être lus sur Kindle ou que la logique de marché appliquée à la culture, aux Etats-Unis, a déjà tué la plupart des éditeurs contestataires...
L'offre d'Amazon est bonne en théorie : tous les éditeurs peuvent y être présents, du plus petit au plus grand, et l'anonymat d'Internet permet à tous ceux qui ont peur du regard accusateur du libraire d'acheter ce dont ils ont vraiment envie. En pratique, n'oublions toutefois pas que la plateforme est une multinationale côtée en bourse, gérée par un conseil d'administration, et dont le but est donc de soutenir son économie propre, à l'inverse de votre libraire, dont la passion est la diversité, les éditeurs et les auteurs, qu'il décide de soutenir non pas pour gagner de l'argent (ou alors on n'a pas encore trouvé la combine), mais pour vous faire partager cet amour si particulier du livre et surtout des idées qu'il porte.
Et si vous êtes complètement outrés après la lecture de ce post et que vous avez envie de faire bouger les choses, mais que Oh ! Grand damne !, vous ne savez pas comment , vous pouvez suivre le programme de désintoxication « Amazon free chalenge » ou visiter le site www.leslibraires.fr (plateforme de vente de livres en ligne avec les mêmes disponibilités et délais de livraison que le grand méchant loup) et décider de soutenir vos commerces de proximité pour avoir une bonne viande du boucher dont-on-sait-d'où-elle-vient plutôt qu'une barquette « origine indéterminée » du supermarché... au même prix !
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